La méthode des OKR (Objectives & Key Results), que nous déployons chez nos clients depuis 2018, est un puissant outil pour recentrer et aligner toute l’entreprise sur les bonnes priorités d’action, générer un engagement collectif, responsabiliser chaque collaborateur et développer une culture du résultat.
Pour capitaliser sur ces super-pouvoirs, il ne suffit pas de définir des objectifs et des résultats-clés ! C’est en intégrant les OKR dans le management au quotidien, partout dans l’organisation, que la pleine puissance de la méthode se révèle… et entraîne avec elle des interrogations sur l’évaluation de la performance individuelle.
Lorsque je présente les OKR aux dirigeants ou aux managers, l’une de leurs premières questions est de savoir comment faire le lien entre les KR et les objectifs individuels. Certains, par peur de voir leur propre bonus indexé sur un Key Result particulièrement ambitieux… et d’autres, en ayant déjà l’intuition que les OKR pourraient être déclinés en objectifs personnels, bien plus alignés avec la stratégie d’entreprise.
Lier la performance individuelle aux OKR, est-ce vraiment utile ?
Contrairement à la pratique des Objectives & Key Results chez Google, popularisée dans le best-seller « Measure what matters » de John Doerr, je déconseille aux entreprises que j’accompagne de définir des OKR au niveau individuel.
Les OKR doivent rester des engagements collectifs, au niveau de l’entreprise, d’une direction ou d’une équipe.
Charge aux managers de les présenter à leurs équipes – en s’assurant que chacun comprenne comment il peut apporter sa propre contribution – pour que ces dernières puissent décliner les KR en roadmaps projet.
Cette étape, trop souvent négligée ou insuffisamment formalisée, est fondamentale pour vérifier l’alignement entre les attentes de résultats de la part du management et les propositions d’actions émises par les équipes.
C’est aussi lors de ces discussions d’alignement que peuvent apparaitre des incohérences entre les KR et les moyens mis à disposition de l’équipe concernée. Dans ce cas, c’est au manager de réadapter le Key Result concerné ou d’aller chercher les ressources nécessaires pour que l’équipe puisse réussir.
Ces étapes permettant déjà un alignement collectif particulièrement fort, est-ce vraiment nécessaire de descendre jusqu’à la définition de la contribution de chaque membre de l’équipe ? Je crois que oui !
Dans la mesure où des objectifs individuels (généralement annuels) sont fixés aux collaborateurs, il semble cohérent voire même absolument nécessaire de réussir à faire le lien entre les priorités stratégiques (sanctuarisées par les OKR) et les objectifs individuels afin de boucler la boucle.
Des objectifs collectifs aux contributions individuelles
Comme évoqué plus haut, l’enjeu consiste à permettre à chaque collaborateur de comprendre comment, à travers ses missions quotidiennes, il contribue à la feuille de route des projets, aux résultats clés et aux objectifs associés. En bref, comment il participe à la stratégie globale de l’entreprise.
Si l’on parle communément d’objectifs individuels, quand on adopte la méthode OKR, il devient préférable d’employer le terme de « contributions individuelles » pour éviter toute confusion entre les différents types d’objectifs.
Exemple OKR d’un centre d’appel en charge de la relation client
Dans notre exemple, les OKR du centre d’appel présentent cet objectif : « nous sommes joignables à tout moment, nous répondons et trouvons des solutions sans attendre ». Un des Key Results qui en découle est : « le temps de résolution des demandes clients au téléphone passe en moyenne de 6’35’’ à 4’50’’ en 2024 ».
- Clara, responsable méthodes et formation des conseillers client, se saisit de ce KR pour réfléchir à sa propre contribution. Après analyse de nombreux appels, elle en conclut que le temps passé par les conseillers à bien qualifier le besoin client est trop long. Cette séquence de découverte du besoin rallonge anormalement la durée d’appel, créant une file d’attente trop longue pour les autres clients contactant le centre, et générant une impatience et une insatisfaction des clients pendant l’échange.
- Sa contribution individuelle consiste donc à écrire de nouveaux scenarii d’appel et de questionnement permettant de mieux identifier les besoins du client en ligne. Elle pourra ensuite les tester, les valider, puis s’assurer que l’ensemble des conseillers du call-center s’approprie ces nouveaux scenarii.
- Clara peut donc traduire ces actions en une contribution individuelle, exprimée d’ailleurs sous une forme proche d’un Key Result : « l’identification précise du besoin du client se fait en moins d’une minute dans 90% des appels ».
Vers une cadence de conversations trimestrielles à la place de l’entretien annuel
L’utilisation efficace des OKR – pour en faire une méthode puissante du passage de la vision à l’exécution – induit des rétrospectives à intervalles courts, idéalement chaque trimestre ou chaque quadrimestre. Lors de ces rétrospectives, il s’agit notamment de requestionner la pertinence des Key Results, d’en définir de nouveaux et d’ajuster les plans d’actions sous-jacents.
Or, comme vu dans l’exemple ci-dessus, les contributions individuelles sont étroitement liées aux plans d’actions collectifs, dédiés eux-mêmes à atteindre les Key Results. Ces contributions doivent donc être revues avec la même cadence !
Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de repartir d’une feuille blanche à chaque rétrospective des OKR… mais plutôt de ritualiser, à la suite de celle-ci, une conversation individuelle d’alignement entre le manager et chacun des collaborateurs.
Cette conversation est l’occasion pour le manager de s’assurer que les OKR de l’équipe sont bien compris. Ce point est d’autant plus crucial si les OKR sont définis à l’échelle de l’entreprise ou d’une direction, car les Key Results peuvent parfois paraître abstraits pour certains collaborateurs.
Par exemple, un technicien d’entretien des locaux ne verra pas forcément un lien direct entre son activité quotidienne, qui consiste essentiellement à réparer et entretenir le lieu de travail, et un KR se rapportant à la mesure du bien-être au travail des collaborateurs.
Pourtant, par ses actions, à travers les réparations et améliorations des locaux pour les rendre accueillants, pratiques et confortables, il est un des acteurs majeurs de la QVT.
Dans cette optique de dialogue et d’alignement, il est fortement recommandé de demander au collaborateur de proposer lui-même ses contributions individuelles.
Attention, comme lors de la définition du plan d’action collectif, la question des moyens doit être mise sur la table. Le manager doit s’assurer, en échangeant avec son collaborateur, que celui-ci a bien les moyens (temps, compétences, ressources, budget, etc.) pour apporter sa pleine contribution.
Dans les entreprises ayant remplacé le trop rigide entretien annuel par ces échanges individuels, à la même fréquence que les rétrospectives OKR (trimestre ou quadrimestre), on constate que les collaborateurs comprennent mieux la stratégie, qu’ils se sentent plus responsabilisés sur les projets collectifs et qu’ils font bien plus facilement le lien avec leurs contributions individuelles. Autant d’éléments qui contribuent à un plus fort engagement des équipes !
OKR et performance individuelle, entre actions de transformation et activités courantes
L’approche décrite plus haut, consistant à verrouiller le lien entre les Key Results et les contributions individuelles, soulève inévitablement une autre question : les OKR doivent-ils concerner uniquement les aires de transformation ou couvrir également le business as usual (les activités courantes de chaque équipe) ?
Je plaide assurément pour la deuxième option, quand bien même celle-ci va à l’encontre du discours majoritaire chez les experts de la méthode OKR ! 😉
Ne pas inclure les activités courantes dans les OKR revient à laisser penser que les dirigeants ne regardent et ne récompensent que les contributions à la transformation de l’entreprise.
Or, même dans un contexte où les entreprises doivent changer radicalement, la majorité des équipes passe le plus clair de son temps sur des tâches relevant du business as usual qui est gage d’excellence opérationnelle et de profitabilité. En conséquence, serait-il normal qu’un système d’évaluation de la performance ne se concentre qu’autour d’une minorité des actions des salariés ?
Cet enjeu ne concerne pas que les fonctions commerciales. Par exemple, une équipe cybersécurité pourrait passer 80 % de son temps à maintenir le système d’information pour se prémunir des cyberattaques… Sans négliger les aires de transformation, il paraîtrait cohérent d’avoir à minima un Key Result couvrant la somme des actions quotidiennes pour protéger les systèmes, par exemple « aucune cyberattaque n’impose une fermeture des SI de l’entreprise ».
En conclusion, j’encourage chaque entreprise utilisant la méthode OKR de faire le lien entre les objectifs et résultats-clés qui sont – par essence – collectifs et la performance individuelle, à travers les contributions de chacun. Pour réussir dans cette voie, n’hésitez pas à procéder de manière progressive :
- définissez dans un premier temps des OKR stratégiques,
- assurez-vous que des plans d’actions cohérents en découlent,
- introduisez les rituels d’équipes liés aux OKR pour aider chaque collaborateur à connecter ses activités quotidiennes aux enjeux stratégiques.
Lorsque tout cela fonctionne, alors il est temps de boucler la boucle en remplaçant les objectifs individuels par la formalisation de contributions individuelles mesurables (et qui peuvent éventuellement faire l’objet d’une rémunération variable).
Comment saurez-vous que vous avez atteint l’alignement parfait ? Le jour où chaque collaborateur se sentira autorisé à aller voir son manager quand il aura l’impression de travailler sur des sujets décorrélés des OKR. Il pourra questionner la pertinence de ses actions… et éviter ainsi toute déperdition d’énergie sur des sujets non stratégiques.