[Interview] Industrie : alignement stratégique et leadership, piliers des transformations chez Michelin

[Interview] Industrie : alignement stratégique et leadership, piliers des transformations chez Michelin

Le 30 août 2024

Nous clôturons nos interviews de décideurs sur les priorités stratégiques des entreprises et leurs enjeux de transformation dans l’incertitude avec Mauricio Manzano Podversich, Directeur Progrès et Transformations chez Michelin, qui nous dévoile les piliers du changement au service de la croissance ambitieuse du groupe.

Coté au CAC 40, Michelin est un leader mondial de fabrication de pneumatiques et pionnier de la science des matériaux depuis plus de 130 ans. Au-delà de son siège social à Clermont-Ferrand, le groupe s’appuie sur 130 000 collaborateurs avec une implantation industrielle dans 18 pays. En 2021, Michelin a lancé son plan de transformation « Michelin in Motion » qui définit la stratégie de croissance durable du groupe à l’horizon 2030.

Mauricio Manzano Podversich, Directeur Progrès et Transformations chez Michelin

Comment identifiez-vous les enjeux majeurs auxquels Michelin doit faire face dans un contexte perturbé ?

M.M.P. Dans ce contexte-là, l’un des premiers axes de transformation a été de nous ouvrir vers l’extérieur, ce qu’on appelle « awareness » dans notre modèle de leadership. Ça se traduit par une ouverture au reste du monde, à la fois au sein de Michelin et autour de Michelin grâce aux partenariats avec d’autres entreprises et organisations.

Cela nous aide à saisir un peu la complexité de tout cet environnement qui nous entoure et à développer l’intelligence collective.

C’est à travers ces processus d’ouverture qu’on a vu émerger les priorités qui sont les nôtres et qui contribuent à l’édification de notre Rêve pour Michelin en 2050 : un leader d’innovation qui aura eu un impact important pour l’humanité.

A travers un processus de co-constrution de grande ampleur, à l’échelle de tous les employés du groupe, élargi même à des clients ou des proches invités à participer à ce process, nous avons fait émerger les 4 grandes frontières de notre « rêve ».

Cet aspect clé de notre démarche a permis à notre comité exécutif, à la fin, de faire la synthèse pour nourrir la stratégie.

Quels sont les principaux challenges que vous avez identifiés et ceux que vous avez choisi de prioriser ?

M.M.P. Les quatre frontières de notre « rêve », qui ont émergé du processus global de co-construction, donnent les enjeux et les grandes perspectives qui tournent beaucoup autour de l’aspect humain.

  1. « On aura tous les mêmes chances d’avoir un travail qu’on aime ».
  2. « Tout le monde vivra en meilleure santé plus longtemps ».
  3. « L’activité humaine inversera le cours du réchauffement climatique ». C’est assez ambitieux !
  4. « Tout ce qui sera produit sera recyclé à l’infini ».

Aujourd’hui, toutes nos actions concrètes sont reliées à l’une de ces quatre « frontières de rêves » qui sont des sources d’inspiration très fortes.

Toute la démarche autour de nos pneus qui utilisent des matériaux durables, les positions prises par l’entreprise en ce qui concerne un salaire universel décent… ce sont des exemples qui s’inscrivent dans cette perspective.

Auriez-vous un exemple concret de transformation mise en œuvre chez Michelin ?

M.M.P. Parmi les 6 grandes transformations prioritaires, je peux vous citer une transformation en cours que nous appelons « IM Michelin » (Michelin In Motion). Dans cette transformation, il y a deux grands piliers :

  • d’un côté, ce que nous appelons le « ownership » et l’intelligence collective, où on va retrouver un modèle de leadership défini, valorisant des compétences et comportements comme l’« awareness », le fait que tout employé Michelin doit développer ses capacités à s’inspirer de ce qui l’entoure ;
  • le deuxième pilier, que nous appelons « Talents in Motion », où on va retrouver comment développer les talents dont on a besoin demain dans ce nouveau monde Michelin qu’on est en train de construire.

Cette transformation, qui s’appuie sur l’aspect humain, est la pièce maîtresse de l’ensemble des transformations du groupe.

Comment assurez-vous le passage de la vision à l’exécution dans votre groupe ?

M.M.P. Les points clés, c’est d’avoir structuré ces transformations en 3 étapes :

  1. La première année a été une année clé d’« alignment on the top ».  Nous avons, avec le « Transfo-Office », beaucoup travaillé avec le top 100 du groupe pour être sûr que le sens de nos transformations, de nos leviers, était clairement compris par les différentes entités du groupe.
  2. Ensuite, on a travaillé sur ce qu’on appelle l’« agility in the middle ». On a ancré les transformations dans nos processus de gouvernance et de pilotage dès le lancement de notre plan stratégique fin 2020. Dès 2021, tous les acteurs des équipes de direction, les experts et tous ceux qui contribuent à construire ce plan avaient déjà été mobilisés sur les plans stratégiques, les projets, les actions concrètes à mettre en place au service de la transformation.
  3. Et bien sûr, en même temps, il a fallu lancer la « mobilisation at the front », c’est-à-dire expliquer à tout le monde ce qu’on va faire.  Nos sponsors ont joué un rôle très fort !

Et la dernière pièce maîtresse, c’est que chacune des entités (pays, région…) a défini une structure pour animer les transformations en interne : des pôles pluridisciplinaires regroupant des personnes en capacité de faire avancer ces transformations.

On a pu créer une communauté de plus de 1 000 personnes impliquées directement dans la transformation, partout dans le groupe.

Notre rôle au « Transfo-Office » est d’animer ce dispositif en donnant du sens, en entretenant la communication, en faisant des liens pour avoir des partages, des bonnes pratiques, pour inspirer.

Comment rester agile et capable de s’adapter rapidement tout en préservant son ADN et ses valeurs ?

M.M.P. Je pense que la clé, c’est l’intelligence collective. Une fois qu’on a défini avec le Comité de Direction quelle était notre « étoile polaire », on peut s’appuyer sur des valeurs très fortes de notre groupe pour garder son homogénéité, le sens des valeurs partagées, pour réussir à s’adapter de manière flexible aux différents challenges.

Oui, le monde change mais Michelin reste Michelin !

Un autre point clé de Michelin, c’est l’innovation. Cette puissance d’innovation a été au départ très développée autour du monde du pneumatique, sur lequel nous avons tout un savoir-faire. Par exemple, à partir d’un morceau de ce composite flexible (pneumatique), on va faire des voiles de bateau, des éléments gonflables qui vont servir à des patients dans les hôpitaux, etc.

Cela montre que le fait de nous appuyer sur notre savoir-faire et nos valeurs nous permet de nous adapter et de saisir les nouvelles opportunités.

Mais tout cela s’est construit au fur et à mesure grâce à l’intelligence collective, dans un processus de co-construction permanent.

Avez-vous utilisé une méthode en particulier pour définir vos priorités ?

M.M.P. La priorisation existait avant notre grande transformation, puisque chaque entité définissait son plan stratégique et ses priorités clés. Ce qui manquait, en revanche, c’était de relier ces grandes priorités aux actions et jusqu’au dernier employé du groupe. Ce chaînage-là est un point clé.

Nous avons commencé par cette première étape qui est de définir de façon collective les objectifs prioritaires en lien avec les plans stratégiques des différentes entités. Grâce à cela, on arrive à avoir cet alignement autour des priorités des différentes lignes business et des différentes régions.

Ces « share goals », largement partagés et transparents, sont la clé de l’engagement des collaborateurs puisqu’ils vont permettre de définir des KPI, des Key Results en lien avec les transformations, et qui, s’ils sont réussis, vont impacter les systèmes de rémunération variable et bénéficier aux employés.

Vous êtes-vous inspirés de la méthode des Objectives & Key Results (OKR) ?

M.M.P. Oui, on s’est un peu inspiré de cette logique : un objectif qui parle au cœur et à la tête et des jalons pour mesurer l’atteinte de cet objectif. D’ailleurs, à certains endroits dans l’entreprise, les OKR sont utilisés pour faire les liens avec les « share goals« .

💡 Livre blanc « La méthode OKR : de la vision à l’exécution de vos stratégies »

Nous ne sommes pas partis d’une page blanche, mais, à l’échelle d’un groupe de 130 000 personnes, nous avions fortement besoin d’avoir une étoile polaire claire, qui fédère les efforts de toute l’intelligence collective vers les priorités de notre transformation, de notre business.

Avez-vous mis en place un dispositif spécifique pour accompagner les équipes dans cette transformation ?

M.M.P. Les 6 grandes transformations lancées chez Michelin sont très complémentaires et nécessitent parfois de développer certaines compétences. Par exemple, on ne peut pas parler de « data driven company » sans développer les compétences des gens pour pouvoir bénéficier de cette technologie, ou pour faire de l’innovation, ou pour mieux servir nos clients.

Dans le cadre de « Talents in Motion », Michelin a lancé en France la Manufacture de Talents (Talents Campus à l’échelle du groupe). C’est un endroit où on va offrir à nos employés tous les moyens de développement des compétences, au niveau des métiers, en leadership et autres… Et aujourd’hui, nous sommes en train de dupliquer ces modèles partout dans le monde.

C’était donc clé, dans la phase de transformation, de développer ce « bras armé » de développement des compétences qu’est notre Manufacture de talents.

D’ailleurs, dans l’esprit du « rêve » Michelin, certaines formations sont ouvertes à l’extérieur, à d’autres personnes dans la région. Cela illustre la cohérence d’avoir de l’impact autour de nous.

Parmi les formations proposées, nous avons fortement développé tout ce qui concerne le leadership. Ce que nous appelons notre modèle de leadership « I care », qui au départ était un modèle managérial, est devenu ce que nous appelons le « I care for all », et pour accompagner le développement de ces compétences, nous avons développé des modules spécifiques.

Un autre exemple, c’est tout ce qui concerne les accompagnements et formations autour des « safe spaces », c’est-à-dire les capacités qu’on a à pouvoir exprimer ce que nous pensons. C’est clé et c’est lié à des enjeux de diversité.

Quelles sont selon vous les clés majeures d’une transformation réussie ?

M.M.P. Pour moi, les principales clés de succès dans les transformations, c’est :

  • Avoir une ambition, une étoile polaire claire et partagée au top : c’est le point de départ et la base du leadership à l’échelle de l’entreprise mais aussi à l’échelle d’une équipe.
  • Arriver à trouver le chaînage qui permette de faire en sorte que chacun dans le groupe, jusqu’au dernier maillon, comprenne le sens et en quoi il contribue à la réussite de notre transformation.
  • Un autre élément clé, c’est la responsabilisation, c’est faire confiance au collaborateur une fois qu’il aura compris le sens, et lui donner l’espace pour agir et faire ce qui est bon pour l’entreprise.

Mettre en place ce fil conducteur du top au bottom, c’est pour moi la clé de la réussite de notre transformation !

Propos recueillis en juin 2024 par Cyrille Chaudoit, Cofondateur de TalenCo, à l’occasion d’un livre blanc sur les stratégies et enjeux de transformation des entreprises dans l’incertitude. Un grand merci à Mauricio pour son témoignage !

Renault, Safran, Keolis, TechnipFMC… Téléchargez nos exemples de transformations réussies dans l’industrie ! 👇

 

Un projet ? Vous souhaitez en discuter ?