Les enjeux des entreprises, qu’ils soient stratégiques, économiques, managériaux ou environnementaux, sont soumis en permanence à des évolutions imposées par des événements imprévisibles… en dépit de tous les efforts d’anticipation.
Du déploiement stratégique au management des équipes, la traditionnelle gestion des risques en entreprise (GRE), qui s’appuie sur la prédiction et une certaine continuité, trouve ses limites dans ce contexte VUCA (volatile, incertain, complexe et ambigu).
Notre conception de la prise de décision est-elle caduque ? Est-il encore raisonnable de chercher l’équilibre dans nos choix face à l’instabilité permanente ? Comment adapter nos décisions en entreprise à la complexité croissante de la société ?

Comment prendre des décisions dans un contexte incertain ?
Pour définir le processus de décision, trouver des pistes pour éclairer ses décisions et leur donner du sens, TalenCo a recueilli lors d’un webinaire les témoignages de spécialistes confrontés à l’art remodelé de la décision en environnement instable :
- Bernard Huarte, Directeur délégué Gestion des risques et Ethique-Conformité chez Savencia (ex-Bongrain), ancien pilote de chasse et commandant de Base Aérienne de l’Armée de l’Air,
- Marion Genaivre, Philosophe, Co-auteure de « La prise de décision » (ed. Dunod 2021) et Co-fondatrice de l’agence de philosophie Thaé,
- Raphaël Kattan, Directeur Général & Associé TalenCo et conseil auprès de dirigeants et de managers de grandes entreprises.
Voici la synthèse de ces échanges inspirants, dont vous pouvez retrouver ci-dessous le replay vidéo !
Sommaire :
Qu’est-ce que la prise de décision ? (définition)
Décider, c’est renoncer
👉 Selon Marion Genaivre, si l’on s’en réfère à l’étymologie, « décider, c’est trancher, couper, faire tomber, c’est rompre un cours d’action possible pour en choisir un autre. En bref, décider, c’est renoncer ».
« Décider c’est trancher et faire sienne l’option retenue » (Paul Ricoeur). La décision entraîne donc également une notion de responsabilité.
Décider, ça se prépare

Quand on pilote un avion de chasse à 900 km/h, il faut bien préparer la mission !
👉 Pour Bernard Huarte, « une mission réussie est une mission à 50 % bien préparée ». L’autre moitié repose sur l’irrationnel, l’adaptation et l’intuition qui se nourrit d’une « expérience inconsciente », du partage avec les autres : « il y a une part d’inné et une part d’acquis ».
Bien décider, ça s’apprend
👉 Pour Bernard Huarte, « décider, ça s’apprend en partie. La formation permet d’acquérir des méthodes, des recettes, de développer des compétences et de s’entraîner à prendre des décisions ».
Décider, ça s’inscrit dans une action collective
Quand nous interrogeons les managers en entreprise sur les facteurs qui rendent le processus décisionnel difficile dans un contexte incertain, 50 % nous répondent « ne pas avoir pu prendre la décision de manière collaborative ».
Faute de temps, les managers doivent souvent arbitrer de manière individuelle, ce qui ne favorise pas l’engagement des équipes.
👉 Pour Raphaël Kattan, « il y a tout un travail à faire sur l’implémentation de rituels plus agiles qui permettent d’avoir des temps collectifs efficaces et courts pendant lesquels on peut décider/ arbitrer ».
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Comment éclairer ses décisions comme leader ?
Oser décider… et agir
82 % des dirigeants se déclarent « angoissés » face au processus de prise de décision (étude Oracle-Netsuite 2020) et pourraient être tentés de ne plus décider.
👉 Pour Bernard Huarte, « la décision n’a de valeur que par l’action qu’elle autorise. C’est cette décision qui va permettre d’avancer ». L’important, c’est de prendre une décision bien éclairée.
On ne peut pas attendre d’avoir tous les paramètres en main pour prendre des décisions, la temporalité de l’entreprise ne le permet pas. Il est donc important de travailler sur le droit à l’erreur et accepter que nous sommes faillibles.
Rechercher la concertation et le consentement
Sans doute sous l’influence de la nouvelle génération, la tendance actuelle penche pour plus de concertation, de consentement, dans les prises de décision.

👉 Selon Marion Genaivre, « le consentement permet de mobiliser le collectif pour éviter les écueils, et de prendre la décision en l’éclairant par les objections des parties prenantes, en connaissance des risques ».
Plus le groupe est diversifié, inclusif, meilleures sont les décisions. Cela permet de confronter les idées, les croyances, les cultures, les schémas de pensée, d’accueillir les objections, de peser les risques et les conséquences.
Avoir conscience de ses biais cognitifs
👉 Pour prendre une bonne décision, selon Marion Genaivre, « il ne faut pas être coupé de ses valeurs par des biais, par un cadre de référence rétréci, par un aveuglement éthique (pression systémique du temps, du groupe, autorité, rôle) ».
En effet, complète Raphaël Kattan, « il faut avoir conscience de ses biais cognitifs (biais de confirmation, biais de résultat…) pour les prendre en compte dans sa décision ».
Accueillir le doute et identifier le contexte
👉 Celui qui ne doute jamais est certainement aveuglé par ses biais cognitifs, c’est pourquoi, selon Raphaël Kattan, « accueillir le doute est très sain. Il faut donc faire un travail sur soi-même pour prendre conscience de ses propres biais et y penser au moment d’arbitrer ».
Il faut également identifier dans quel type de situation on est (simple ou complexe) car on n’active pas les mêmes processus de prise de décision en fonction du contexte.
Diminuer l’incertitude et la prise de risque
Selon l’étude Profeel 2024 réalisée avec OpinionWay auprès de 600 décideurs (C-levels), décider au quotidien pour un leader consiste à réduire le niveau d’incertitude et la prise de risque.
Ainsi, deux tiers des membres du Comex prennent leurs décisions de manière consultative (+23 points vs les autres dirigeants) en s’appuyant sur différentes sources d’influence : leaders d’opinion, médias et ressources technologiques.
Pour les aider dans leur prise de décision, les dirigeants s’ouvrent notamment de plus en plus à l’intelligence artificielle générative (IAgen) « pour gagner du temps dans les prises de décisions », « faire des tests » ou « confronter leurs choix stratégiques ».

Néanmoins, derrière ces approches consultatives, 2 dirigeants sur 3 avouent prendre des décisions stratégiques sans disposer de suffisamment d’informations ! 😬

Comment donner du sens à la prise de décision ?
Faire preuve de bon sens et d’humilité
On ne peut pas toujours simplifier les situations les plus complexes, mais il est important de s’appuyer sur le bon sens et de revenir à l’essentiel quand c’est possible ou bien d’avancer par étapes.
👉 Pour Marion Genaivre, « pour décider sereinement, il faut rester humble et courageux ».
S’approprier et assumer la décision
Tout l’enjeu est de faire sienne la décision que l’on prend pour lui donner du sens. La décision est donc étroitement associée à la notion de responsabilité.
👉 Pour Bernard Huarte, « derrière la décision, il y a le courage de décider, surtout quand les enjeux sont vitaux. Il faut qu’on ait son propre intérêt dans la décision qui nous engage personnellement et engage notre responsabilité ».
Rester connecté à ses valeurs et dépasser ses peurs
👉 Pour décider sereinement, il est important de s’appuyer sur nos valeurs et d’en faire des leviers d’arbitrage.
Cependant, nos peurs peuvent brouiller nos repères et nous couper de ces valeurs, ce qui peut entraîner des décisions aux conséquences dramatiques, comme nous le rappelle Marion Genaivre en évoquant le cas de la Ford Pinto dans les années 1980 qui a provoqué beaucoup d’accidents mortels par manque d’une décision de rappel…
Capitaliser sur les retours d’expériences
Les retours d’expériences sont primordiaux dans la prise de décision. On apprend beaucoup de ses propres échecs et expériences, mais on apprend tout autant des bonnes et mauvaises expériences des autres !
👉 C’est pourquoi selon Bernard Huarte, il est important de formaliser les temps de partage d’expérience et de feedback et de se former dans cet objectif.
Développer des compétences de leadership
Savoir arbitrer en contexte incertain nécessite des compétences de leadership pour donner du sens, fixer un cadre et être certain de relier ses décisions à la stratégie de l’entreprise. La méthode OKR peut aider grandement à créer cet alignement.
Il est également essentiel pour les leaders de développer les soft skills (bienveillance, assertivité, écoute…) pour s’assurer qu’à aucun endroit dans l’organisation, les bonnes idées, les initiatives ne sont bridées.
12 compétences décisionnelles pour les leaders
Parmi les compétences décisionnelles importantes pour le leadership, voici notre sélection de compétences essentielles à une prise de décision efficace :
3 compétences stratégiques 🏆
- Savoir recueillir, trier et analyser les informations pertinentes
- Tenir compte des impacts de vos choix à court et long terme
- Anticiper et gérer les risques financiers, opérationnels, etc.
3 compétences analytiques ⚙️
- Savoir choisir les opportunités selon le contexte
- Etre préparé à une gestion agile des crises
- Etre capable de trancher en contexte incertain
3 compétences d’adaptabilité 🔄
- Faire preuve de flexibilité face à l’incertitude
- Développer l’art de la pensée critique
- Oser l’originalité, la créativité, l’innovation
3 compétences de leadership 🤝
- Avoir confiance en soi et assumer ses choix
- Impliquer les parties prenantes et collaborer
- Savoir communiquer ET convaincre les équipes
En conclusion, pour décider le plus sereinement possible, il faut avant tout un état d’esprit et un climat de confiance qui permettent de libérer les initiatives.
Il est également important de faire un travail sur soi, de savoir s’arrêter, de respirer et de s’inspirer pour bien arbitrer ! 😌
