Dans le contexte troublé que nous traversons, les dirigeants et les managers des grandes entreprises doivent faire face à un environnement complexe tout en poursuivant les transformations, parfois à marche forcée, avec leurs équipes.
Si l’efficacité de la méthode OKR (Objectives & Key Results) en tant qu’accélérateur du développement des start-up et des scale-up n’est plus à prouver, moins nombreux sont ceux qui savent à quel point elle s’adapte aussi aux grandes entreprises pour accélérer les transformations, favoriser le déploiement stratégique et le passage de la vision à son exécution opérationnelle.
Pour activer tous les super-pouvoirs des OKR (aligner, prioriser, engager, responsabiliser, piloter) et pour que la méthode apporte son plein potentiel dans les grands groupes, il convient de réunir 6 conditions optimales. Ces clés de réussite concernent l’échelle de temps, la mise en œuvre de la méthode, l’alignement sur les priorités, l’évolution de la culture managériale, l’exemplarité des dirigeants et l’accompagnement interne.
Sommaire :
- Adapter l’échelle de temps des OKR aux grandes entreprises
- Ne pas cascader trop vite les OKR dans l’organisation
- Bien différencier les Key Results des actions au quotidien
- Faire évoluer la culture managériale avec la méthode OKR
- Des dirigeants qui impulsent les OKR et montrent l’exemple
- Déployer les OKR grâce à des relais dans chaque direction
1. Adapter l’échelle de temps des OKR aux grandes entreprises
Si, pour des start-up ou des scale-up, l’échelle de temps maximum d’un objectif est d’un an et que les Key Results doivent être atteints dans les 3 mois, il est recommandé, pour les grandes entreprises, d’élargir l’horizon de temps lors de la définition des OKR stratégiques (c’est-à-dire les OKR pilotés par les instances dirigeantes).
Fixer des objectifs qui décrivent ce que doit être l’entreprise à l’issue d’un plan stratégique à 3 ou 4 ans est une pratique saine qui permet à chacun dans l’organisation de sortir la tête de l’eau pour regarder un cap plus lointain que les chiffres de la fin du mois ou du trimestre.
Chez Ulys par exemple, les OKR ont été mis en place fin 2022 dans le cadre d’un plan stratégique ambitieux avec une vision à 3 ans pour répondre aux enjeux d’accélération et de croissance.
« On voulait une méthode à la hauteur de nos ambitions et donc on a fait confiance aux OKR, qui favorisent vraiment l’alignement des équipes et la priorisation des sujets. »
Charlotte Nikitits, Responsable stratégie et projets transverses chez Ulys (Vinci Autoroutes)
Chez Veolia, autre exemple, l’enjeu était de décliner les plans stratégiques à 3 ans sur tous les territoires. L’introduction des OKR s’est faite progressivement en testant d’abord sur une première entité régionale.
Les Key Results, quant à eux, ne doivent pas avoir une échéance supérieure à 12 mois. Cette durée de vie peut même être resserrée au semestre ou au trimestre tant qu’il est possible de rester sur un résultat quantifiable et ne pas basculer sur des jalons projets.
2. Ne pas cascader trop vite les OKR dans l’organisation
« Measure what matters », le livre de référence des OKR de John Doerr et de nombreuses autres publications sur les OKR laissent penser que la bonne pratique consiste à cascader les OKR partout dans l’entreprise jusqu’à la maille individuelle.
Cela sous-entend que chaque collaborateur, à chaque strate hiérarchique, s’engage sur ses propres OKR. Si cela fonctionne chez Google, ce modèle n’est pas forcément duplicable dans une grande entreprise en France et plus largement en Europe.
Une bonne pratique consiste à commencer par les OKR de l’entreprise qui sont à définir de manière collaborative par l’ensemble du Comité de Direction, puis de demander à chacun de ses membres de décliner les OKR pour leur propre direction.
Pour Elie Casamitjana, fondateur et CEO d’OKRmentors, « il est important que le comité de direction prenne le temps et l’énergie pour avoir une stratégie et pour pouvoir la communiquer plus largement ensuite ».
A l’issue de cette première étape, chaque direction peut déjà s’assurer du bon alignement entre ses Key Results et les principales activités et roadmaps projets.
A ce stade, il conviendra de se demander jusqu’à quelle strate de l’organisation il est pertinent de décliner des OKR et à quelle vitesse il est souhaitable de déployer la méthode. L’expérience nous a montré qu’il est préférable de laisser au minimum 6 mois de pratique des OKR à un niveau hiérarchique donné avant de poursuivre le « cascading » sur la strate suivante.
En tout état de cause, il ne nous apparaît pas nécessaire de descendre jusqu’à une maille individuelle. Les OKR doivent rester des engagements d’équipe pour lesquels chaque collaborateur peut être invité à formaliser sa contribution qui prend la forme de plan d’action et de priorités.
3. Bien différencier les Key Results (résultats clés) des actions au quotidien
Combien avons-nous vu d’entreprises dans lesquelles les tâches et les projets au quotidien semblent totalement décorrélés des priorités stratégiques mises en avant par les dirigeants ?
Si dans une PME, ce grand écart est moins prégnant car le désalignement se verrait plus vite, dans les grands groupes il est fréquent d’avoir des collaborateurs qui travaillent très dur sur des tâches et des actions qui paraissent certes logiques sur un périmètre donné mais qui ne contribuent pas aux priorités stratégiques.
La bonne synchronisation entre Key Results, roadmaps projets et contribution de chacun est donc l’élément clé pour permettre le passage de la vision stratégique à l’exécution. Or, cette étape est souvent escamotée par les managers. Ces derniers pensent souvent qu’il suffit de présenter les OKR pour que les équipes fassent automatiquement évoluer leurs plans d’actions.
En réalité, seules les équipes qui font l’effort de faire de vrais temps de synchronisation entre les projets et les Key Results exploitent pleinement les supers pouvoirs des OKR. Il s’agit alors d’aligner des roadmaps collectives au niveau des équipes, mais aussi les contributions individuelles de chaque collaborateur.
Au sein d’un grand média canadien, par exemple, les OKR font désormais partie intégrante de l’organisation agile et certains rituels sont déjà bien ancrés pour permettre aux équipes d’aligner régulièrement leurs actions sur les objectifs.
Une fois par mois, les OKR sont partagés entre services pour s’assurer qu’ils soient incarnés. Lors des revues de sprint, les objectifs sont attachés aux OKR pour donner du sens, de la perspective et expliquer pourquoi on cherche à atteindre ces objectifs.
Un autre bon réflexe consiste aussi à faire évoluer les revues individuelles. Concrètement, passer de l’entretien annuel de performance à une discussion trimestrielle est un des moyens qui permet de s’assurer que chaque collaborateur a bien compris comment il peut contribuer aux projets sous-jacents des Key Results.
En somme, il s’agit de permettre à chacun de comprendre parfaitement le sens de ce qu’il fait tout en s’assurant qu’il n’y aura aucune déperdition d‘énergie ou de démotivation sur des projets qui ne sont pas en lien avec la stratégie de l’entreprise.
4. Faire évoluer la culture managériale avec la méthode OKR
Si la méthode OKR est si puissante, c’est parce qu’elle vient impacter jusqu’à la culture managériale.
Définir les OKR et les rappeler à intervalle régulier aide les managers intermédiaires et les collaborateurs à sortir la tête de l’eau plus fréquemment pour regarder l’horizon stratégique : « vers où souhaitons-nous aller collectivement ? ».
Pour les managers, les OKR aident à être plus souvent sur le pourquoi et non plus exclusivement sur la mise en œuvre opérationnelle du comment, du qui, du quand et du combien.
Bien utilisés, les OKR permettent des discussions régulières saines, cadrée et illustrées pour s’assurer que tout avance bien et au bon rythme. Si les managers adoptent la bonne posture, ils peuvent aider les équipes à regarder vers l’avant plutôt que de perdre du temps et de l’énergie à justifier les raisons pour lesquelles les projets n’ont pas avancé suffisamment vite.
« Les 5 pouvoirs des OKR sont des pratiques managériales : aligner, prioriser, engager, responsabiliser, piloter. Les OKR aident les managers à donner du sens puisque chacun sait en quoi il contribue au projet de l’entreprise. »
Sandrine Roche, Responsable des Pratiques Projets à la Société Générale
Par ailleurs, la synchronisation qui se fait régulièrement entre les projets et les Key Results permet d’accroitre considérablement le niveau d’autonomie des équipes. Libérant ainsi du temps au manager pour adopter une posture de servant leader en apportant des solutions ou en venant en soutien des différentes équipes qui rencontrent des écueils.
Entamer une démarche autour des OKR dans les grandes entreprises nécessite aussi de faire le lien avec les parcours de développement et de formation des managers pour s’assurer que ces derniers adoptent la bonne posture grâce aux OKR.
Il s’agit alors d’une méthode au service de la posture des managers pour mieux donner du sens, recentrer sur les bonnes priorités, renforcer la confiance et responsabiliser les équipes sur la déclinaison des plans d’action. Ils feront aussi évoluer la fréquence des entretiens individuels et des discussions d’alignement avec chaque collaborateur en instaurant des rituels.
Daniil Rybaev, VP IT Strategy du groupe Accor confirme cette évolution de la culture managériale : « Les OKR permettent aux managers de mobiliser les équipes, donner du sens, de la perspective et de rattacher l’activité à la stratégie globale. Il faudrait enseigner les OKR dans les écoles de management ! ».
5. Des dirigeants qui impulsent les OKR et montrent l’exemple
Pour déployer avec succès la méthode, il est préférable de commencer par les OKR de l’entreprise qui sont définis par le Comité de Direction. Chaque directeur peut ensuite les réinterpréter pour son périmètre. Ainsi, la manière dont le Codir va utiliser les OKR dans les différents rituels collectifs, pour donner du sens et pour piloter régulièrement l’avancement du plan stratégique, sera observée par les managers des différentes directions.
« Une des clés de succès, c’est un véritable sponsorship du dirigeant pour donner du sens à l’usage de la méthode OKR. »
Caroline Launois-Beaurain, VP Digital Sales Product & Experience Chez Club Med
Plus largement, l’appropriation de la méthode OKR par le Codir est essentielle pour comprendre et expliquer les bénéfices (priorisation des projets, concentration des efforts…) et définir les OKR en lien avec le plan stratégique.
Elie Casamitjana (OKRmentors) confirme l’importance de « commencer avec le comité de direction, en tout cas les équipes de leadership puisque lorsqu’elles auront compris la valeur des OKR et comment ça fonctionne, ce sera beaucoup plus facile de le disséminer dans l’organisation ».
Dans un second temps, par mimétisme, la méthode va pouvoir infuser et être reproduite par les managers au sein de chaque direction. C’est pourquoi il est nécessaire que les dirigeants soient exemplaires dans l’utilisation des OKR.
Cela passe notamment par le respect des fondamentaux : rester sur 3 ou 4 objectifs maximum, résister à la tentation de mettre des jalons de projets à la place des Key Results, animer des réunions de revue des OKR régulièrement, adopter la bonne posture de leader, etc.
Cette exemplarité est absolument primordiale pour permettre à la méthode d’infuser correctement toute l’organisation.
6. Déployer les OKR grâce à des relais dans chaque direction
Si, à première vue, la méthode OKR est facilement compréhensible et d’apparence simple, elle n’en demeure pas moins exigeante dans sa mise en œuvre. Son déploiement nécessite d’être accompagné, notamment en interne par une équipe projet composée de managers proches des instances dirigeantes.
Souvent issue des RH, cette équipe resserrée qui pilote le déploiement peut aussi faire partie des équipes dédiées à la transformation, à l’innovation ou à la performance. L’équipe OKR aide les dirigeants à adapter la méthode à la culture de l’entreprise, à déterminer le rythme et la méthodologie, à activer le plan de communication et à recruter des relais dans chaque direction pour faciliter le déploiement.
Ces facilitateurs, autrement appelés OKR Champions, sont indispensables pour assurer une cohérence d’ensemble tout en étant capables de tenir compte des spécificités de leur direction de rattachement.
Pour Charlotte Nikitits (Ulys), « l’accompagnement des équipes est essentiel« . Elle recommande « d’avoir des ambassadeurs au sein des équipes pour bien diffuser la méthode et la relayer, sinon la méthode risque de ne pas prendre ».
Elie Casamitjana (OKRmentors) confirme l’importance d’avoir des responsables OKR en interne (OKR Lead, OKR Champion, OKR Coach…) pour faire le lien entre le Codir et les collaborateurs, aider à la compréhension des enjeux et faciliter la collaboration dans les équipes et entre les différents niveaux de l’organisation.
« C’est bien d’avoir un OKR Champion qui facilite le process dans les équipes, qui encourage l’utilisation de la méthode pour une meilleure adoption dans l’organisation, car il y a toujours une résistance au changement donc ça demande un peu de discipline. »
Commencer au plus haut niveau de l’entreprise en embarquant le Codir, faciliter l’appropriation des OKR en expliquant le sens et en s’appuyant sur des relais OKR, adapter en continu la mise en œuvre de la méthode à travers des instances et des rituels adaptés aux besoins de l’entreprise… voilà quelques pistes majeures pour réussir le déploiement des stratégies avec les OKR dans les grandes entreprises !
Les OKR sont en général unanimement salués pour leur efficacité et leurs bénéfices à court terme une fois déployés, mais leur déploiement demande d’être accompagné pour mettre en place un cadre adapté et une nouvelle culture.