Deux années de crise sanitaire ponctuées de périodes de confinement auront eu raison d’un système d’organisation du travail bien ancré au bureau. L’obligation de recourir au télétravail a propulsé les entreprises, en quelques mois, dans un mode de travail hybride et a fait évoluer sensiblement les mentalités. Désormais, nous le savons, il n’y aura pas de retour en arrière.
Alain d’Iribarne, économiste, sociologue du travail et Directeur de Recherche au CNRS, invité de notre webinaire « Management hybride et retour au bureau », confirme cette tendance. En décryptant l’enquête internationale Actineo 2021, il nous éclaire sur la façon dont nous travaillerons demain et sur les nouvelles conditions nécessaires à la bonne organisation et au bon management du travail devenu hybride.
« Le travail hybride va contraindre toute entreprise basée sur le modèle managérial traditionnel français à l’innovation de rupture. »
L’analyse d’Alain d’Iribarne sur l’enquête Actineo
Quels sont les grands enseignements de l’enquête sur le télétravail post confinement ?
Alain d’Iribarne : L’enquête d’Actinéo – qui compare avant, pendant et après le confinement chez les travailleurs dans les grandes métropoles internationales – nous éclaire sur le rapport au télétravail.
Avant la crise sanitaire, 80 % des actifs travaillant dans des bureaux n’avaient jamais fait de télétravail. Après le confinement, seuls 15 % disent qu’ils ne pourraient ou ne voudraient pas continuer à télétravailler.
Autre statistique, avant, 1 % des travailleurs interrogés étaient en télétravail toute la semaine. Ils étaient 29 % pendant le confinement et ils sont 14 % à souhaiter être en télétravail toute la semaine après.
Au global, le rythme idéal se stabiliserait autour de 2 ou 3 jours de télétravail hebdomadaire et les négociations actuelles d’entreprises se font en majorité sur cette répartition. Au sortir de cette crise, les choix qui s’offrent aux entreprises et aux collaborateurs sont très élargis.
🔎 Selon l’enquête Ifop « Perspectives RH 2022 : l’état d’esprit des recruteurs » publiée en février 2022 , la moyenne des jours télétravaillés dans les entreprises qui ont mis en place une politique spécifique est de 2,3 jours par semaine.
Qui va décider des nouvelles conditions du travail hybride pour les entreprises ?
Alain d’Iribarne : Du côté de l’entreprise, le principal décisionnaire est la Direction qui définit la stratégie, appuyée par la DRH pour la gestion des ressources humaines.
Il y a également trois autres acteurs essentiels dans l’hybridation du travail :
- les managers de premier et deuxième niveau qui sont des rouages essentiels (lire aussi ‘Nouveaux espaces de travail : les managers au cœur du changement‘),
- les partenaires sociaux pour les grandes et moyennes entreprises,
- l’Etat – par ses institutions administratives et financières – qui a profité du confinement pour mettre la majorité des collaborateurs en télétravail et réduire le nombre de mètres carrés de bureaux.
Pourquoi continuer à venir au bureau si l’on peut travailler à distance ?
Alain d’Iribarne : A la question « qu’attendez-vous si vous revenez au bureau ? », les principales raisons évoquées par les collaborateurs sont le besoin de socialisation et de rencontres (41 %), la recherche d’un espace qui permette de travailler calmement (39 %) et des échanges professionnels plus efficaces (34 %).
Mais ce à quoi les répondants aspirent le plus, c’est la recherche d’un équilibre pour séparer la vie au travail de la vie privée (80 %). L’une des pistes serait de réfléchir aux espaces de coworking de proximité.
Comment gérer la complexité de la nouvelle organisation hybride ?
Alain d’Iribarne : Les managers sont les acteurs principaux de l’évolution des modes de travail. Désormais, toutes les entreprises qui conservent un modèle managérial traditionnel très vertical et qui prétendront intégrer du travail à distance seront obligées de passer par une innovation de rupture dans leur modèle managérial.
Les entreprises ont un triple challenge à relever : économique pour être rentables, humain pour intégrer la qualité de vie et le bien-être au travail, et environnemental pour optimiser leur impact. Les managers vont donc devoir être garants de ce triple résultat, dans un contexte complexe et déstabilisé. Ils doivent désormais manager avec la combinaison des lieux, des temps, de la relation des individus avec le collectif et mettre tous ces éléments en cohérence.
🔎 D’après l’enquête ANDRH « Le futur du travail vu par les DRH » publiée en mars 2022, la transformation du rôle des managers est clé pour le futur du travail et représente un chantier prioritaire pour 70 % des répondants.
Y a-t-il des disparités entre grandes métropoles et province, entre petites et grandes entreprises ?
Alain d’Iribarne : La réponse se trouvait déjà dans l’enquête Actineo 2019… La qualité de vie au travail en France grandit à mesure qu’on s’éloigne des grandes métropoles et des grandes entreprises. Autrement dit, la satisfaction est plus grande quand la taille de l’entreprise est petite et dans des territoires non métropolitains.
Le télétravail reste principalement un problème de grandes villes et très lié aux variables de temps et de qualité de transport. A l‘international, les situations sont très disparates suivant les mégapoles.
Au demeurant, la bonne mise en œuvre de l’hybridation du travail ne dépend pas de la taille mais de la philosophie de l’entreprise et de l’état d’esprit des collaborateurs.
Un grand merci à Alain pour avoir pris le temps de répondre à nos questions ! 🙂
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