[Interview] Transformation des entreprises retail : la conduite du changement chez Groupe Rocher

[Interview] Transformation des entreprises retail : la conduite du changement chez Groupe Rocher

Le 22 juillet 2024

Nous poursuivons notre série d’interviews de décideurs sur les priorités stratégiques des entreprises et leurs enjeux de transformation dans un contexte incertain avec Jeanne Renard, Directrice Ressources Humaines, Communication et RSE chez Groupe Rocher, qui témoigne des transformations en cours et de la conduite du changement dans le groupe retail.

Connu à travers 9 marques dont les emblématiques Yves Rocher et Petit Bateau, le Groupe Rocher est un groupe d’origine familiale et bretonne, désormais présent dans 110 pays avec près de 3 000 boutiques dont 650 en France. Entreprise à mission depuis 2019, le groupe de 15 000 collaborateurs s’est engagé à « reconnecter les femmes et les hommes à la nature », conformément à sa raison d’être.

Jeanne Renard, Directrice Ressources Humaines, Communication et RSE de Groupe Rocher

Comment identifiez-vous et évaluez-vous les enjeux majeurs auxquels le Groupe Rocher doit faire face dans l’incertitude ?

J.R. Après les multiples crises qu’ont traversé toutes les entreprises depuis 2019, nos premiers enjeux sont aujourd’hui des enjeux financiers, de résultats, de profitabilité.

Nous avons aussi des enjeux de reconnaissance et de positionnement des produits. Pour cela, nous analysons les résultats, la voix des clients, les parts de marché, des indicateurs assez classiques en stratégie, qui nous permettent de nous repositionner.

Un autre levier important pour nous est la voix du collaborateur. Là, on utilise une enquête annuelle « salariés », qui passera bientôt sur une dynamique dite « Pulse » où l’on peut suivre de manière plus flexible les retours de nos salariés. Cela nous permet d’adapter en permanence nos actions, tout comme on le fait par rapport à la voix du client.

Avez-vous décidé de prioriser certains enjeux ?

J.R. Nous avons priorisé 3 enjeux clés qui dessinent la vision et la déclinaison du plan stratégique pour les trois prochaines années et qui se synthétisent en trois mots : profitabilité, désirabilité et engagement !

  1. Profitabilité : augmenter la profitabilité de l’entreprise est notre premier enjeu pour les 18 prochains mois.
  2. Désirabilité : désirabilité des marques, de l’entreprise vis-à-vis nos salariés…
  3. Engagement : cet enjeu est très lié à notre ADN, à notre histoire, parce que nous sommes une entreprise à mission, parce que nous sommes très actifs en matière de RSE.

Sur ce dernier aspect, on va travailler sur le développement de produits plus responsables dans le portefeuille d’activité, sur une empreinte carbone allégée, sur une capacité à engager nos 15 000 collaborateurs dans la mission de l’entreprise de manière consciente, au quotidien, sur l’ensemble des activités de groupe.

Quels sont les facteurs de changement exogènes qui impactent le plus le Groupe Rocher ?

J.R. Deux principaux changements impactent nos activités :

  • le changement des usages et de consommation, qui impacte la consommation de nos clients avec des logiques et des problématiques de pouvoir d’achat qui nous obligent à toujours améliorer le positionnement prix, cette capacité à être accessible au plus grand nombre ;
  • le changement du regard sur le travail qui nous impacte particulièrement sur une forme de business model dans notre groupe qu’est le social selling, où des indépendants vont vendre nos produits [dans certaines de nos activités]. Depuis la crise Covid, ce pan d’activité est en décroissance au niveau mondial et les gens ne sont plus motivés pour aller chercher ce complément de revenu. Nous travaillons donc à réenchanter la promesse pour aller recruter cette force de frappe majeure pour nos marques.

Face à un avenir incertain, privilégiez-vous l’innovation ou le retour aux fondamentaux de vos métiers et à l’ADN du groupe ?

J.R. Nous travaillons sur les deux aspects, et en priorité sur le retour aux fondamentaux et l’ADN de la marque Yves Rocher qui est la marque cœur et phare du groupe.

Nous renforçons nos fondamentaux, c’est-à-dire de la cosmétique végétale engagée, des actifs avec des effets puissants, en nous appuyant sur la Recherche & Développement au cœur de l’innovation. Nous souhaitons nous recentrer sur l’histoire de la marque Yves Rocher et rester précurseurs et force de frappe pour proposer des produits centrés sur la nature.

Nous souhaitons aussi repenser nos organisations pour mieux nous adapter au contexte et aux réalités de ce monde VUCA, gagner en agilité, s’ouvrir au monde extérieur.

Aujourd’hui, nous avons énormément de compétition autour de la cosmétique végétale engagée. Beaucoup de concurrents, petits et grands, arrivent sur ce marché plébiscité par les consommateurs et c’est important pour nous de continuer à innover et à inventer. Nous avons initié un gros travail pour revoir la structure et la culture de l’entreprise, pour nous ouvrir à plus de diversité, d’innovation.

Comment réussissez-vous à faire en sorte que votre entreprise reste agile tout en préservant un ADN et des valeurs très ancrés ?

J.R. Nous expérimentons beaucoup de choses aujourd’hui.

Nous continuons tout d’abord à travailler notre mission « reconnecter les femmes et les hommes à la nature » qui est le premier moteur d’engagement de nos salariés dans le groupe aujourd’hui. Cela fait partie de nos racines et c’est une richesse extrêmement forte, qui d’ailleurs est dans le troisième pilier de notre stratégie : l’engagement qui nous permet de donner du sens dans un monde incertain.

Nous sommes également en train de revoir tous les systèmes de mesure de la performance dans un monde où on ne peut plus fixer des objectifs à l’année, mais que nous devons repenser de manière plus régulière, au trimestre, tant pour les objectifs individuels que collectifs au niveau de l’entreprise.

Il nous faut donc repenser la performance en gardant la bienveillance qui fait partie de notre socle culturel d’entreprise.

Cette dynamique de performance revisitée, à plus court terme, requiert pas mal d’agilité.

Nous travaillons également à rendre notre organisation plus agile en repensant les processus de bout en bout de l’entreprise – ce que l’on appelle les processus « end-to-end » – pour remettre beaucoup plus de dynamique, réduire le time-to-market, casser les silos qu’on pouvait avoir parfois entre marques et entre métiers. Tout ceci est un énorme travail de restructuration du fonctionnement de l’entreprise, pour être plus compétitif, plus innovant, plus rapide.

Comment faites-vous pour accélérer le passage de la vision stratégique à son exécution ?

J.R. En 2023, nous avons changé la gouvernance de l’entreprise pour incarner et accélérer cette transformation et activer une nouvelle manière de piloter l’entreprise.

Nous avons opté pour la méthodologie OKR (Objectives & Key Results) qui permet de traduire la vision stratégique en objectifs et résultats clés très simples, uniques pour l’ensemble de l’entreprise, et qui vont ensuite être déclinés à partir de chaque membre du Comex, dans chaque fonction, dans chaque marque.

En cascade, les OKR ont été déclinés jusque dans les objectifs individuels de nos salariés pour trouver cette agilité, cette accélération, mais aussi pour gagner en cohérence au sein de l’entreprise. Aujourd’hui, même si nous sommes encore dans notre première année d’expérimentation, nous voyons déjà les bénéfices de gagner en rapidité, en cohésion et surtout en alignement.

Les OKR nous ont également permis de travailler sur le renoncement, ce qui est très important en période de transformation. Cela permet de se mettre d’accord tous ensemble sur ces questions : quelles sont les grandes priorités ? Comment aligner les équipes ? À quoi renoncer à chaque niveau de l’organisation ? Dans une culture historique d’exigence d’excellence, le renoncement est une épreuve difficile pour certains, mais grâce aux OKR, cela donne du sens et favorise le collectif.

La méthode OKR nous a permis d’initier le mouvement et nous allons poursuivre dans les prochaines années avec beaucoup de joie, parce que cela nous apporte déjà des retours positifs de nos salariés sur une meilleure clarté de la vision, du Comex jusqu’au dernier maillon managérial pour cette première année.

🔎 Retrouvez l’interview de Jean-David Schwartz, CEO du Groupe Rocher, sur le déploiement des stratégies avec les OKR

Quelle stratégie, quels dispositifs avez-vous mis en place pour soutenir vos équipes dans ce contexte de changement continu ?

J.R. Tout d’abord, les OKR font partie intégrante des outils que nous avons mis en place pour changer et faire évoluer la culture vers une culture de résultats, de valeur pour le client final, qu’il soit consommateur, partenaire ou salarié. Nous sommes donc en train d’opérer une bascule entre culture de moyens et culture de résultats.

Nous avons aussi travaillé à la vision d’un modèle social qui est en train d’être déployé et qui va toucher aux politiques RH, au système de management, au développement des salariés, à la reconnaissance (monétaire et non monétaire), à la logique d’organisation du temps de travail, au bien-être et aux risques psychosociaux, à la diversité inclusion, etc, qui sont aussi des sujets extrêmement importants dans les phases de transformation que nous sommes en train de vivre.

Sur l’ensemble de ces champs, nous sommes en train de poser de nouvelles politiques qui visent toutes à développer la responsabilisation du salarié et du manager pour passer d’un mode de management assez hiérarchique à un système de « Servant leadership ». Nous sommes d’ailleurs en train de monter un programme pour accompagner les managers vers un nouveau modèle managérial.

Nous avons aussi un travail sur la digitalisation, et en particulier un pilote sur l’utilisation de l’intelligence artificielle générative dans nos processus de travail. C’est une pièce maîtresse dans la transformation, dont l’enjeu, si elle est bien utilisée, est d’absorber les transformations et de simplifier les activités en réduisant les tâches répétitives.

Diriez-vous qu’il y a une évolution dans la manière de conduire le changement aujourd’hui ?

J.R. C’est une bonne question qui est au cœur des réflexions que nous avons en ce moment, sur la manière de conduire le changement dans un environnement en crise permanente et quotidienne, qui provoque des cassures, des pics et des changements de contexte qui nous amènent à faire pivoter très rapidement la stratégie et les priorités.

Cette évolution passe par le travail sur l’employabilité, sur la formation, sur cette capacité à apprendre en permanence qui sont des concepts qui ne sont pas nouveaux, mais qu’il est urgent de remettre en pratique, pas uniquement sur des strates de leaders et de managers, mais également pour des opérateurs, pour des vendeurs en magasin, etc.

La question qu’on se pose aujourd’hui, au cœur de ces transformations qui s’accélèrent, c’est comment lever les peurs et préparer nos collaborateurs à être agiles, à vivre sereinement dans des contextes où plus rien n’est certain, et apprendre à se réjouir de ce que l’on a appris et réussi à faire dans les derniers mois, à se projeter dans un futur proche…

La grande transformation du moment, c’est donc de réussir à absorber et transformer ce stress lié naturellement au changement et qui touche tout le monde. Le rôle de l’entreprise, des RH et du management devient crucial pour trouver les clés afin de cheminer ensemble dans un monde plus serein.

Propos recueillis en juillet 2024 par Cyrille Chaudoit, Cofondateur de TalenCo, dans le cadre d’un livre blanc sur les stratégies et enjeux de transformation des entreprises dans l’incertitude. Un grand merci à Jeanne pour son témoignage !

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