Transformation du travail : les défis des managers face aux changements de la société

Transformation du travail : les défis des managers face aux changements de la société

Le 05 novembre 2024

Cet article est la synthèse d’une conférence de Alain d’Iribarne*, économiste et sociologue du travail, donnée à l’occasion d’un séminaire Managers animé par TalenCo en octobre 2024. Il évoque les défis actuels des managers Français au regard de la dynamique de la construction sociétale française.

Les managers face aux changements de la société et du monde du travail

Les managers en France font face à de nouveaux défis, liés à deux grandes forces de changement :

  • d’une part, des changements qui touchent le monde du travail et ses dimensions économiques, organisationnelles, technologiques et environnementales,
  • d’autre part, des changements sociaux, influencés par les évolutions démographiques et idéologiques.

Ces deux forces influencent continuellement le travail des managers, quel que soit leur niveau hiérarchique, en complexifiant fortement leur cahier des charges et en durcissant les exigences, surtout depuis la pandémie.

Les managers, à tous les niveaux, doivent maintenant gérer des situations de plus en plus complexes. Ils ne peuvent plus seulement compter sur des compétences techniques ; ils ont aussi besoin de talents plus créatifs pour être capables de résoudre des problèmes inédits avec flexibilité et rigueur.

Comprendre la construction sociétale française pour mieux manager

Ces dynamiques de changement s’inscrivent dans une longue histoire de transformation sociale en France. Pour comprendre la situation actuelle, il faut revenir à ce qu’on appelle la « construction sociétale française », une structure qui évolue depuis longtemps dans une trajectoire de déconstruction et de construction.

L’histoire de la société française se divise en deux grandes périodes qui ont servi de socle au Pacte Social qui régit notre société française depuis 1945 :

  • l’ère monarchique (800 – Moyen Âge) avec un État centralisé et une société structurée en trois ordres (Noblesse, Clergé, Tiers-État) posant les bases des futures luttes de classes,
  • la période républicaine (1789 et après) donnant la primauté à l’État pour garantir « liberté, égalité, fraternité »… en principe, puisque les inégalités de l’Ancien Régime subsistent.

Après 1945, le Conseil National de la Résistance et les « trente glorieuses » établissent l’État Providence, favorisant la mobilité sociale et la consommation. Ce modèle s’appuie sur la confiance, la légitimité et l’autorité, mais les hiérarchies recréées par l’Éducation Nationale alimentent la crainte du déclassement social.

Aujourd’hui, nous vivons un moment de grande transformation et de mutation historique, et il est essentiel de capitaliser sur ces différentes phases d’évolution pour mieux comprendre la réalité. Sans cette relecture, il devient difficile de guider l’action de manière efficace. Si les managers ne possèdent pas ce capital culturel et cette capacité d’adaptation, ils risquent de ne pas être à la hauteur des attentes.

Instabilité, concurrence et efficience : les nouveaux défis de la société pour les managers

Aujourd’hui, notre « cyber-société » est marquée par plusieurs caractéristiques impactant le management.

  1. La première est sa « liquidité », son instabilité et son mouvement constant, souvent perçus comme sources d’incertitude et de risques. Cette incertitude génère de l’angoisse et du stress pour la plupart des individus et en particulier pour les Français qui ont une large appétence pour la stabilité et une forte aversion pour les risques. Cela se traduit dans la société française par un État-providence jouant le rôle de « filet de sécurité ».
  2. Ensuite, nous sommes devenus une société de concurrence, ce qui pousse les individus à s’adapter à des normes de performance, à adopter un état d’esprit de « winner », alors que les Français, en général, ont une préférence pour des revenus stables, sans compétition.
  3. Troisième caractéristique de notre société : l’efficience productive. En effet, les exigences de productivité se durcissent et on attend maintenant des entreprises qu’elles assurent à la fois une efficacité économique, sociale et environnementale. Par exemple, le bien-être des salariés, l’égalité de traitement, la réduction de l’empreinte carbone et la protection de la nature font partie des critères à respecter.
  4. Enfin, le marché du travail exige désormais de dépasser les simples capacités techniques requises et de développer des compétences de savoir-faire comme par exemple savoir résoudre des problèmes, des situations complexes de manière autonome.

Toutes ces évolutions obligent désormais les managers à posséder des capacités d’interprétation des situations rencontrées et être encore plus innovants. C’est le passage de la qualification à la compétence !

Cette évolution nécessaire pour s’adapter peut néanmoins conduire à l’exclusion d’une partie non négligeable de la population active qui ne possèderait pas les comportements sociaux basiques requis.

Nouvelles générations et travail hybride : les managers face à de nouveaux défis en entreprise

Si les nouvelles technologies – l’intelligence artificielle en particulier – sont souvent à la source de grands défis pour le management, ce sont en réalité les évolutions politiques et sociales qui nous permettent de mieux comprendre les problèmes managériaux actuels.

Les managers confrontés à l’évolution des attentes générationnelles

Le cœur de la transformation réside dans la rencontre entre les besoins d’efficacité organisationnelle et les évolutions des générations successives.

Cette rupture, initiée par la génération X (à partir de 1968), amplifiée par les générations Y et Z, s’est faite sur trois plans :  confiance, légitimité et autorité, renversant les rapports entre les intérêts individuels (« je ») et collectifs (« nous »), ce qui complique la création d’une dynamique collective.

Les managers doivent désormais considérer les collaborateurs dans leur globalité — « corps, esprit et âme » — car les ressentis psycho-affectifs influencent de plus en plus les comportements au travail et tendent à prendre le dessus sur les situations objectives. Cela explique, par exemple, la montée des arrêts maladie et la dégradation du bien-être au travail.

La situation est d’autant plus complexe que les jeunes générations recherchent un équilibre entre les « je » et « nous » sous des formes variées et souvent instables, à distance comme en présentiel. Cela traduit un besoin d’inclusion pour lutter contre une solitude grandissante.

Télétravail et flexibilité, un équilibre complexe pour le management de proximité

Avec le télétravail, qui rompt l’unité de lieu et de temps au travail, des notions comme l’inclusion, la résilience et le « care management » deviennent primordiales.

La grande flexibilité des lieux, mais aussi des modes de travail, ouvre une « boîte de Pandore » et représente un défi majeur pour les managers sur l’organisation du travail collectif. Ils doivent jongler avec des attentes variées et des besoins variables de stabilité des collaborateurs, selon les profils individuels, leur logement, leur vie sociale, etc.

Cette hybridation des modes de travail alimente aussi le désir de bien vivre et de donner du sens au travail, incitant certains employés, surtout les plus jeunes, à chercher un contrat salarial plus modulable. On voit des demandes de pluriactivité, des CDI partiels ou des activités indépendantes.

Ces demandes entraînent des tensions avec les entreprises et les managers, qui, encore souvent ancrés dans un modèle hiérarchique traditionnel, restent réticents face au télétravail.

Les négociations se stabilisent souvent autour de deux jours de télétravail et trois jours au bureau, avec des managers eux-mêmes souvent partagés… Ceux-ci sont favorables au télétravail pour eux-mêmes, mais réticents pour leurs équipes, car ils se heurtent aux difficultés que cette flexibilité pose pour le management de proximité.

Les défis que rencontrent aujourd’hui les managers en France s’inscrivent dans un contexte de transformation sociétale profonde, où les attentes de performance côtoient des exigences croissantes en matière de bien-être et d’équilibre individuel.

Naviguer dans ce paysage exige non seulement une adaptation technique mais aussi une agilité psychologique et culturelle, afin de répondre aux aspirations changeantes des nouvelles générations tout en préservant une cohésion collective.

Face à une société qui valorise de plus en plus l’inclusion et la flexibilité, il devient crucial pour les managers d’embrasser un leadership fondé sur la confiance et la compréhension des dynamiques humaines. En dépassant les héritages rigides des modèles de gestion passés, ils pourront ainsi construire des environnements de travail capables de résister aux turbulences modernes tout en restant profondément humains.


Alain d'Iribarne
Alain d'Iribarne

Economiste, sociologue du travail, directeur de recherche au CNRS et président du conseil scientifique d’Actineo, Alain d’Iribarne est un expert et conférencier spécialiste des relations entre la qualité de vie, la performance au travail, le « future of work » et plus généralement de tous les facteurs améliorant le bien-être et l’efficience au sein des organisations. Il est l’auteur de nombreux articles et de l’ouvrage « Performances au travail : et si tout commençait par vos bureaux ? » aux Editions Italiques.

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