Notre série d’interviews sur les priorités stratégiques des entreprises et leurs enjeux de transformation dans l’incertitude se poursuit avec Frédéricke Sauvageot, Directrice de la QVT du Domaine immobilier et des Espaces de travail chez Orange, qui aborde notre sujet sous l’angle de l’évolution des modes de travail, des espaces de travail et de la QVCT (qualité de vie et des conditions de travail).
Avec près de 300 millions de clients particuliers, professionnels et grandes entreprises en Europe, Afrique et Moyen-Orient, Orange figure parmi les leaders mondiaux de services numériques et de télécommunications sous la marque Orange Business.
En France, les sites immobiliers du groupe représentent plus de 5 millions de mètres carrés au cœur des enjeux sociétaux et environnementaux du groupe.
Dans quel contexte avez-vous engagé des transformations chez Orange et quels sont vos enjeux et vos priorités ?
F.S. Nous vivons, depuis quelques mois, voire quelques années, dans un contexte sociétal et socio-économique particulier à l’origine de nombreuses transformations.
De mon point de vue, le contexte lié à la crise pandémique a été assez rapidement écarté, alors que pendant un certain temps il était le centre des attentions. Pour autant, on ne connaît pas encore suffisamment les impacts réels, personnels et professionnels sur les salariés, leurs familles et nous devons rester assez prudents sur ce sujet.
Ce que je constate, c’est que la crise pandémique semble avoir accéléré un certain nombre de tendances qui étaient déjà présentes dans les entreprises.
Aujourd’hui, on assiste à une multiplication des transformations. Contrairement à il y a quelques années où les transformations se succédaient, maintenant, elles se chevauchent et se mènent en parallèle, impliquant les mêmes individus. Ce phénomène est observable dans toutes les entreprises et nécessite une attention particulière.
Du point de vue de de mes activités, le sujet de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) devient, encore plus qu’avant, un levier pour la performance des organisations.
En tout cas, elle détermine vraiment la capacité qu’ont les entreprises à créer de la valeur et c’est la raison pour laquelle il est primordial de s’engager dans des démarches de qualité de vie, conditions de travail, quelles que soient les transformations !
Les transformations dans les entreprises, même si elles paraissent mineures, ont souvent un impact significatif. Le changement d’entité pour un salarié, même si le métier reste le même, peut affecter son sentiment d’appartenance. Ce transfert peut aussi impliquer un changement de manager et d’organisation, contribuant à des évolutions notables.
Ces transformations, qualifiées de véritables mutations du travail, incluent des aspects d’hybridation des métiers, des organisations et des espaces de travail. En conséquence, ces multiples changements peuvent s’avérer lourds à vivre pour les salariés.
Pourquoi considérer la QVCT (qualité de vie et des conditions de travail) comme un levier de transformation ?
F.S. Parce que cela impacte l’implication et l’engagement des salariés, la performance des entreprises, les pratiques managériales, etc. La QVCT est une démarche intentionnelle et stratégique reliant la dimension psychologique aux dimensions collectives et à l’organisation du travail.
Chez Orange, nous prônons un accompagnement responsable des transformations et de leurs impacts humains dans une démarche globale.
En amont, nous avons mis en place des processus d’info-consultation avec les élus, un questionnement des collaborateurs en capitalisant sur des baromètres et indicateurs, des interviews du top management… Et puis en aval, nous nous attachons à évaluer les retours d’expérience à 3, 6 et 9 mois pour dresser un constat, des recommandations et des pistes pour l’amélioration.
C’est une démarche très importante qui permet d’anticiper les impacts des transformations sur les enjeux stratégiques, économiques, et organisationnels, et de gérer les compétences, le collectif de travail et la sécurité socio-économique.
Quels sont les impacts des transformations sur les collaborateurs dans le groupe Orange ?
F.S. Les impacts sur les collaborateurs sont de différentes natures. Ça peut être des impacts sur le contenu de leur travail, sur leurs compétences, des impacts sur leur organisation du travail, leur relation au travail ou le sens au travail, et sur le lieu et l’environnement de travail…
Les transformations peuvent générer des pertes de sens et de repères, des craintes aussi, d’où l’importance de répondre au besoin des collaborateurs d’être accompagnés, d’avoir une communication claire et transparente sur les enjeux stratégiques du projet et les bénéfices que ça va leur apporter, leur degré d’autonomie, leurs nouvelles responsabilités…
Cette pédagogie est nécessaire et extrêmement importante pour mener à bien les transformations.
Quel est le rôle du management dans l’accompagnement des transformations ?
F.S. Les managers doivent accompagner les équipes avec attention, par la confiance, les aider à grandir, en adoptant le management par le « care« , qui implique de prendre soin de soi pour mieux prendre soin des autres.
Organiser des transformations de façon efficace implique d’avoir des postures managériales adaptées et un comportement qui permet d’accompagner des mises en situation dans un contexte d’incertitude. Manager par le « care », c’est une façon efficace d’engager les équipes.
La réussite des transformations repose en grande partie sur les managers, et en particulier sur les managers de proximité.
Leur rôle est crucial et ils doivent faire l’objet d’une attention particulière de la part de l’entreprise qui doit les soutenir et les accompagner afin qu’ils puissent faciliter l’adhésion, qu’ils soient les ambassadeurs des transformations, mais aussi pour qu’ils apprennent à se préserver dans ces multiples transformations.
Le nouveau rôle des managers implique une vision systémique sur leur capacité d’agir, leur liberté d’action dans un cadre donné, la co-construction de la transformation avec les équipes en favorisant la collaboration, la co-création, l’innovation et le feedback pour travailler efficacement et garder l’engagement collectif.
Le travail hybride fait-il également évoluer le rôle des managers ?
F.S. C’est un autre point essentiel : il faut sensibiliser les managers à la charge de travail dans une période de transition car le changement dans une organisation de travail ne se fait pas du jour au lendemain.
C’est vrai en particulier dans le management hybride pour lequel le manager doit s’assurer de la mise à disposition des ressources nécessaires (processus et gouvernance, outils numériques, espaces physiques).
L’espace physique est important. C’est le lieu de socialisation, de l’ancrage des rituels d’équipe et du sentiment d’appartenance à un collectif de travail. C’est pourquoi il est important d’organiser des temps de travail en équipe avec une présence physique sur place pour « faire ensemble ».
Cet équilibre à trouver entre le travail à distance et le travail en physique fait partie des transformations qui ne sont pas complètement achevées. Il faut réussir à faire en sorte que les temps en présentiel soient vraiment des temps forts où l’équipe se retrouve, et non pas des temps où chacun est présent physiquement mais isolé dans un tunnel de visio avec des interactions uniquement à distance.
Ces questions touchent aux transformations du rôle du bureau et comment l’espace physique de travail pourrait être beaucoup plus une ressource à la disposition des managers pour asseoir leur projet d’équipe et leur collectif.
On peut observer qu’il y a beaucoup de transformations d’organisations et de métiers qui se font en simultané avec une transformation des espaces de travail. C’est sans doute pour une raison assez simple, liée au fait que durant la période pandémique, le télétravail a changé d’échelle et de dimension.
Là où vous aviez 1 personne sur 5 qui faisait 1 ou 2 jours de télétravail, vous êtes plutôt passé à 4 personnes sur 5, en tout cas dans le milieu tertiaire et pour les métiers considérés « télétravaillables » et qui souhaitent pouvoir bénéficier de ce mode de fonctionnement hybride favorisant un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle et répondant aussi à des enjeux RSE, notamment moins d’utilisation des voitures et autres transports polluants.
Quels dispositifs avez-vous mis en œuvre pour accompagner les équipes dans ces transformations ?
F.S. L’accompagnement des équipes, quelles que soient les transformations, passe par de l’écoute, des groupes d’expression qui me semblent incontournables. Il est important que les équipes puissent s’exprimer et contribuer aux transformations, qu’elles soient organisationnelles, métiers ou d’environnement de travail.
La co-construction est un vrai sujet, encore faut-il bien poser le cadre et expliquer sur quoi on peut agir, sur quoi on peut co-construire… et puis bien communiquer.
La communication est en effet un véritable levier de réussite des transformations, qu’elles soient organisationnelles ou spatiales.
Plus spécifiquement, à l’heure du travail hybride, pouvez-vous nous parler de la transformation des espaces de travail et des impacts associés ?
F.S. Concernant la transformation des espaces de travail, c’est aujourd’hui incontournable puisque, dans la mesure où un grand nombre de personnes peuvent travailler à distance, les bâtiments sont relativement vides, et même si on parle de retour sur site, les salariés ne viennent que quelques jours, en alternance avec le télétravail.
En même temps, il y a des enjeux économiques, des enjeux climatiques, des enjeux de RSE… La réduction de l’empreinte carbone, les enjeux liés aux températures sont aussi des sujets sur lesquels on doit apporter des réponses, et cela passe notamment par une réduction et une optimisation de l’empreinte immobilière : « moins de mètres carrés, mais mieux de mètres carrés ».
Donc oui, c’est vrai que très souvent, les transformations actuelles passent par une transformation des modes de travail et de l’organisation spatiale de travail parce qu’il faut répondre aussi à de nouveaux besoins, de nouveaux enjeux.
Quelles sont selon vous les clés d’une transformation réussie de l’organisation ?
F.S. Les clés d’une transformation réussie, c’est, je pense, la communication, la co-construction, l’écoute, les groupes d’expression. Cela fait vraiment partie des clés incontournables pour accompagner une transformation, ainsi que la nécessité de l’accompagnement quel que soit le type de transformation.
Il est également important de définir les impacts et la criticité des projets, cela me semble clé. Ce n’est pas si évident de définir une transformation réussie car les transformations se succèdent et se superposent, et cela ne s’arrête pas vraiment.
En revanche, ce qui est important, c’est de toujours travailler au mieux sur la capitalisation des débuts ou sur des transformations qui ont été menées, et de toujours mesurer les impacts et la perception, le ressenti de ceux qui vivent ces transformations de façon à toujours être dans une amélioration continue.
Au-delà d’une transformation réussie, le vrai sujet est sans doute celui de l’amélioration continue : comment rester toujours en veille sur ce que l’on peut améliorer pour faciliter de bonnes conditions de travail et une bonne qualité de vie au travail dans cette refonte des organisations du travail.
En effet, ce n’est pas une, mais des organisations de travail qu’il faut arriver à accompagner, et des transformations successives ou parallèles qu’il faut challenger, poursuivre pour les nécessités d’évolution et de transformation des entreprises.
Mais le point le plus important, quels que soient les enjeux et la stratégie de l’entreprise, c’est de toujours porter un regard d’intérêt sur l’humain. C’est vraiment l’humain qui est au cœur des transformations et ce n’est pas juste de la communication.
Propos recueillis en mai 2024 par Cyrille Chaudoit, Cofondateur de TalenCo, dans le cadre d’un livre blanc sur les leviers de transformation des entreprises dans l’incertitude. Un grand merci à Frédéricke pour son témoignage !